Lorsque nous avons été conviés par le fondeur de Santa Clara à l’occasion de leur conférence « Intel Foundry Direct Connect » à San Jose en Californie, nous devons avouer que nous étions circonspects. En effet, avec un PDG issu du monde de la finance plus que des ingénieurs, une politique de licenciements latente et des communications régulières sur les avancées (certes encourageantes, mais pas extravagantes) des nouvelles finesses de gravure, il était difficile pour Intel de nous surprendre sur ce terrain-là. Rajoutez un contexte politique trouble — l’instabilité des droits de douane n’engageant de manière générale pas les entreprises à la confiance. De surcroît, les résultats d’aujourd’hui sont essentiellement les fruits du leadership de Pat Gelsinger, parti en claquant la porte : bref, les mains du nouveau PDG Lip-Bu Tan ne partaient pas remplie d’atouts !
Pourtant, force est de constater que les bleus en avaient sous le capot, avec de nombreuses finesses de gravure (ré) — annoncées ; qu’il s’agisse de version faite maison… mais également issues de partenariats sur des nodes plus matures. Voyons donc ce que cela donne en chiffres, en partant du plus performant au plus épais.
Naga Chandrasekaran, Executive Vice President et Chief Technology and Operation Officer à Intel Foundry, était là pour présenter les dernières avancées de la firme.
Intel 14A
La chose n’est pas nouvelle, après le 18A viendra le 14A, et — surprise — le géant bleu avait un wafer à disposition. En zoomant, on y aperçoit un motif de test, ce qui signifie que le procédé n’était pas encore très avancé à la production de la galette, encore faut-il qu’elle soit fraîche ! Au niveau des gains, il est question de 15-20 % en performance-par-Watt pour une densité 1,3 x meilleure, le tout en comparant vis-à-vis de l’Intel 18 A. Cependant, il faut savoir raison garder et sa bouche point trop n’ouvrir : ces nombres ne sont encore que des estimations et les gains réels dépendront de l’utilisation du niveau de maîtrise du procédé.
Dans la pratique, le 14A sera découpé en 3 saveurs : une tall optimisée pour les hautes fréquences, une mid-size pour offrir un ratio performance/watt alléchant, et une short cherchant à tirer le maximum de chaque Watt dans les environnements les plus contraints. En y regardant de très près, le procédé se base sur la seconde génération de transistors RibbonFET, mieux maitrisée, et la seconde génération d’alimentation par l’arrière (Back-side Power Delivery) nommée PowerDirect — on se doute qu’il est question d’élargir les capacités de routage de l’alimentation (back-side contacts ?). Si tout cela est du chinois pour vous, nous vous conseillons de relire notre couverture des IEDM 2023 et 2024.
Ce 14A sera par la suite — comprendre, aux environs 2027 pour la production à risque — complété par une version 14A-E (pour « étendue ») dont les détails sont encore méconnus. En revanche, le 14A en est à ses débuts, le Process Design Kit (ensemble des bibliothèques et règles régissant l’utilisation du procédé) ayant été livré aux clients, et les premières commandes de puces de test étant en chemin.
Avec le 14A sera livré de nouvelles structures de cellules rassemblant plusieurs ensembles de rubans pour toujours plus de polyvalence : variation de l’épaisseur, de l’écartement ou de l’agencement des gates.
Enfin, le High-NA (une méthode de fabrication visant à améliorer l’ouverture des appareils optique de gravure pour gagner en précision) est toujours d’actualité sur ce 14A, les premiers wafers ayant déjà étés réalisés et montrant des rendements satisfaisants. Pour les clients, le choix Low — ou High-NA pourra être effectué sans changement majeur du design, un point clef pour rationaliser la production et autoriser une certaine flexibilité. En pratique, cela s’explique par le fait que le High-NA n’est pour le moment qu’une méthode de réduction des coûts, permettant de réaliser en une exposition et moins de 10 étapes des motifs alors qu’une gravure « classique » en nécessiterait 3 pour environ 40 étapes ; une complexité qui se ressent fatalement sur le coût de fabrication.
Intel 18A
Comme Intel l’annonçait il y a quelques semaines, la production à risque du 18A a démarré, ce qui signifie que les premières puces manufacturées à destination des consommateurs finaux a commencé, ce qui introduit encore à cette étape un rendement et des performances inférieures à ce que le node mature aura une fois la production de masse lancée. Par rapport à l’Intel 3 — qui, pour rappel, n’est utilisé que sur les Xeon — le 18A est 15 % plus économes à isoperformance par rapport à l’Intel 3, et 1,3x plus dense à isofréquence. Rien de neuf par rapport à ce qui était prévu : de quoi rassurer les investisseurs et clients, après les multiples retards du 14 nm puis du 10 nm. Pour rappel, il est tout à fait possible qu’une gravure se révèle décevante ou, au contraire, meilleure que prévu lors de sa mise au point : ce non-changement des cibles de performances est ainsi à prendre comme une confirmation des objectifs atteints. Nous aurions également aimé une comparaison directe vis-à-vis de TSMC, une information que les bleues ne peuvent pas ignorer depuis que leurs propres processeurs grand public sont déjà manufacturés dans leurs usines !
Côté technologie, les secrets du 18A sont désormais bien documentés : pour rattraper le retard accumulé, Intel a dû effectuer non pas un, mais deux innovations technologiques sur ce node : RibbonFET, c’est-à-dire l’implémentation des transistors en fines couches détachées les unes des autres nommées « ruban », et le back-side power delivery déportant l’alimentation de la puce du front-end (couches métalliques situées sur le silicium) au back-end : l’autre côté, Il en résulte une diminution des interférences et un routage simplifié, ce qui permet de réduire le pitch desdites couches métalliques et ainsi gagner en densité.
Avec le début de la production à risque, le 18A a validé sa phase d’optimisation/maturation des outils de conception, et est désormais prêt pour être envoyés aux clients désireux de porter leurs puces sur la phase de production de masse, prévue pour fin 2025/début 2026.
Le 18A tient ses promesses, et nous ne pouvons que nous en réjouir !
Cependant, Intel se veut désormais être plus qu’un designer, mais un fondeur à part entière, proposant ainsi une activité en tant que (faux) pure-player (nous reviendrons très rapidement sur ce positionnement, pas de panique !). Ainsi, en écoutant les retours de ses clients — c’est-à-dire des boites externes utilisant les services de fonderies pour leurs propres activités, une autre variante du 18A, le 18A-P (« performance ») a été développé.
18A-P
Version plus polyvalente du 18A, le 18A-P est actuellement en phase de mise au point, les outils étant encore imparfaits. Cependant, le fondeur est parti des fondamentaux du 18A, si bien que les designs sont directement portables du premier procédé au second, si le besoin d’en faisait sentir. Par rapport à la version pas-P, cette mouture du 18A améliore de 8 % supplémentaire le ratio performance/consommation en rajoutant notamment une finesse de ruban supplémentaire.
Intel a été relativement clair au sujet de cette gravure : il est question de répondre à une demande externe, pour des applications qui ne sont pas le calcul général. Il est donc peu probable qu’un CPU de la firme voit le jour en 18A-P, mais vous connaissez le dicton : il ne faut jamais dire jamais ! Par contre, un GPU ou un accélérateur de machine learning semble une cible toute trouvée. Quant à la date de sortie du bousin, comptez quatrième trimestre 2026 pour la production de masse : reste à voir quelle marque s’aventurera sur ce procédé !
Intel 16
Après toute cette débauche de technologie, Intel s’est également exprimé à propos de nodes plus matures (vous aussi, rencontrez les nodes matures les plus chauds de votre région !), à savoir un Intel 16 (pour 16 nm, pas 16A !), moins coûteux, mais toujours usité lorsque la performance maximale n’est pas désirée. Ainsi, le fondeur propose désormais cette nouvelle finesse dans son usine irlandaise, pour abreuver les demandes du vieux continent.
Surprise : cet Intel 16 a déjà un consommateur, et pas des moindres : Mediatek, qui a annoncé conjointement la mise en production de masse (sautant ainsi l’étape « risque » vu le niveau d’ancienneté de la technologie) de puces ciblant la 5G reposant sur ce procédé… sans plus de détails à l’heure actuelle ; gageons que cela se clarifie dans les mois qui viennent. En tout cas, les bleus semblent confiants et annoncent que d’autres produits sont en cours de production sur ces lignes, tout en gardant le secret sur leur identité.
12 nm UMC
Pour compléter son portfolio de gravures, Intel travaille avec UMC, un fondeur Taiwainais, pour proposer un 12 nm de leur conception dans les usines bleues. Une fois encore, l’idée est d’étendre l’offre pour pouvoir accompagner au mieux les clients vers une solution qui leur convient — la chose a été répétée à moult reprises : une fonderie, c’est avant tout une prestation de service ; une activité nouvelle pour Intel qui, de son propre aveu, n’est pas maîtrisée en totalité.
Une fois encore, l’Intel 16 est également décliné dans une version optimisée 16-E pour les clients aux besoins spécifiques. De quoi appuyer la conversion d’Intel Foundry en entité au fonctionnement distinct de l’Intel « Classique » ; ce qui ne se passera également pas sans restrictions budgétaires, comme le PDG l’annonçait : « Pas de Capex Inutile » !
Et voilà pour le récap !
D’autres technologies ?
Pour finir, Intel avait également deux autres gaufrettes gravées dans sa poche : la première composée d’un interconnect photonique (c’est-à-dire reliant des mini-fibres optiques, tout à gauche sur le cliché ci-dessous), ce qui sera à l’œuvre pour fournir les téraoctets par seconde nécessaires aux futures générations d’accélérateurs d’IA ; et un wafer de test de puces quantiques (cinquième en partant de la gauche)… sur lequel la firme n’a pipé mot. Il faut dire qu’une communication à propos d’une technologie encore non maîtrisée dans un événement destiné à rassurer sur la capacité de l’entreprise à tenir ses promesses et rester raisonnable ne rentre pas vraiment dans le flot général de la conférence. Pour une prochaine fois ?
Une belle photo de famille ! De gauche à droite : puces photoniques, 18A, 14A, 18A-P, CMOS quantiques, Intel 3, Intel 4, Intel 7, re-Intel 3, Intel 16.
