Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) pourrait avoir trouvé sa version définitive. Le projet initial, analysé dans nos colonnes, comprenait un grand nombre de mesures ayant pour objet d'encadrer l'usage d'internet bien davantage que ce que le réseau l'est aujourd'hui.
Les mesures de censure et de surveillance étaient déjà drastiques, selon certains commentateurs telle la Quadrature du Net, mais le projet fut encore renforcé au gré de différents amendements parlementaires (détaillés dans notre article) et avait vocation à entrer très rapidement en vigueur, la procédure accélérée ayant été enclenchée par le Gouvernement.
Cependant, c'était sans compter sur la Commission européenne qui est intervenue par deux fois, au cours du processus législatif, pour adresser un avis circonstancié (c'est-à-dire une mise en demeure) à la France pour qu'elle se conforme au Digital Services Act, au droit européen en général et arrête de tenter de contourner le domaine réservé de l'Union européenne, ayant valeur constitutionnelle :
Art. 81-1 de la Constitution de la Vème République :
La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
Les remarques et remontrances étaient nombreuses et vous pouvez en retrouver le détail dans ce billet.
La commission mixte paritaire (CMP - réunion entre délégations de députés et de sénateurs destinée à finaliser un texte qui convienne aux deux assemblées), qui devait initialement se tenir en 2023 pour apporter à ce projet les dernières retouches nécessaires, vient de se réunir ce mardi 26 mars et est parvenue – selon les mots de la nouvelle Secrétaire d'Etat chargée du numérique – à trouver un accord dans lequel elle modifie le projet pour tâcher de le rendre conforme au droit de l'Union.
La commission mixte paritaire sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique est parvenue à un accord sur un texte commun…
— Marina Ferrari (@FerrariMarina73) March 26, 2024
Si le texte adopté à l'issue de cette séance n'est pas encore disponible à l'heure où nous écrivons ces lignes (il le sera à cette adresse dès sa publication), un certain nombre d'ajustements sont déjà publics.
Les principales rectifications concernent notamment le blocage possible des sites pornographiques ne contenant pas de mesures de limite d'âge strictes, sans contrôle d'un juge. La CMP ne revient pas entièrement dessus mais admet qu'il ne pourrait s'appliquer qu'aux entreprises ayant un siège en France ou en dehors de l'UE. Cela, en application d'une disposition de l'article 3 de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique :
Les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l'information en provenance d'un autre État membre.
Ainsi, chaque entreprise implantée sur le territoire de l'Union européenne ne peut être tenue de répondre qu'aux mesures de l'Etat membre sur lequel elle se trouve et ne peut se voir imposer d'autres règles relevant d'un droit national.
Deux autres mesures ont été revues, dans le même esprit de rendre le projet conforme au droit européen, notamment l'interdiction qui était faite aux influenceurs de faire la promotion de leur page OnlyFans (ou de tout autre site susceptible d'accueillir du contenu pornographique) sur une plateforme ne restreignant pas l'accès des mineurs, d'une part, et une disposition qui imposait aux réseaux sociaux de signaler aux parents leur enfant mineur susceptible de se livrer à du cyber-harcèlement, d'autre part.
Au reste, le texte est globalement maintenu tel qu'il était, notamment en ce qui concerne la création d'un nouveau délit d'outrage en ligne, d'une nouvelle peine de bannissement des réseaux sociaux, de la création d'une identité numérique individuelle, officielle et pour le moment facultative, d'une possible censure en 24h – sans contrôle d'un juge – des contenus qui présenteraient des scènes de barbarie, d'un meilleur encadrement juridique des données de santé, ou encore d'un nouvel encadrement des jeux à objets numériques monétisables (JoNum).
Il se pourrait donc, ainsi que nous vous l'indiquions en introduction, qu'il s'agisse de la version définitive de ce projet de loi qui pourrait, dès lors, entrer en vigueur dans les prochains mois.
Cependant, rien n'est encore tout à fait joué d'avance et de nombreuses embûches peuvent encore parcourir le chemin vers la promulgation de cette loi, à commencer par les votes dans les deux chambres du Parlement, qui devraient se tenir le 2 avril au Sénat et le 10 avril à l'Assemblée, pour acter l'adoption définitive du texte par le législateur.
Il se peut encore que, par la suite, la Commission européenne estime que les mesures de mise en conformité avec le droit communautaire ne sont pas suffisantes, ce qui obligerait le texte à faire l'objet de nouvelles retouches de la part du Gouvernement avant de pouvoir être promulgué, sous peine de faire l'objet d'un recours en manquement devant la Cour de justice de l'Union européenne.
Enfin, plusieurs députés ont annoncé dès l'automne leur intention de saisir le Conseil constitutionnel, faisant notamment état de risques graves d'instauration d'un régime de contrôle social de masse aux mains de l'exécutif, et le Conseil pourrait alors décider de le censurer partiellement.
En tout état de cause, nous ne manquerons pas de vous tenir informés de ce que l'avenir réservera à ce texte, susceptible d'apporter des changements profonds à l'utilisation d'internet sur le territoire français.
Merci pour l'article.