Le bras de fer entre Arm et Qualcomm a pris un nouveau tournant : selon Bloomberg, Arm a informé Qualcomm que sa licence architecturale lui sera retirée dans un délai prescrit de 60 jours ! Une mesure drastique, puisque c’est cette licence qui autorise Qualcomm à concevoir ses microarchitectures basées sur les architectures de jeux d’instructions Arm, dont les plus récents sont Armv8.x et Armv9.x. Par exemple, les cores Oryon du Snapdragon X Elite et Oryon 2ᵉ génération du Snapdragon 8 Elite sont basés sur l’ISA Armv8.x. Par conséquent, Qualcomm a désormais deux mois pour trouver coute que coute un terrain d’entente avec Arm. À défaut, Qualcomm serait obligé d’arrêter la vente et la production de ses puces Arm. L’information n’a pas été démentie et a été commentée par Qualcomm auprès de la presse :
C’est toujours la même chose de la part d’ARM - d’autres menaces infondées conçues pour forcer la main à un partenaire de longue date, interférer avec nos processeurs à la pointe de la performance et augmenter les taux de redevance sans tenir compte des droits étendus que nous confère notre licence d’architecture. Alors que le procès approche à grands pas en décembre, le stratagème désespéré d’Arm semble être une tentative de perturber le processus juridique, et sa demande de résiliation est totalement dénuée de fondement. Nous sommes convaincus que les droits de Qualcomm dans le cadre de son accord avec Arm seront confirmés. Le comportement anticoncurrentiel d’Arm ne sera pas toléré.
Le timing de cette décision n’est certainement pas un hasard. En effet, Qualcomm et Arm vont à nouveau se retrouver face à face lors d’un procès en décembre. Visiblement, Arm a donc décidé de sortir l’artillerie lourde pour se donner plus de poids en prévision des "négociations" à venir... Cette nouvelle tombe aussi au pire moment pour Qualcomm, dont la conférence Snapdragon Summit vient de se dérouler, avec les annonces de nouveaux CPU comme le Snapdragon 8 Elite, Snapdragon Cockpit Elite et Snapdragon Ride Elite. Toutes des solutions basées sur une architecture maison plutôt qu’une base Cortex semi-custom d’Arm, mais nécessitant évidemment toujours une licence architecturale Arm. D’un point de vue commercial, les conséquences pourraient donc être désastreuses...
Mais quelle est l’origine du problème entre Arm et Qualcomm ? Tout remonte à l’acquisition de Nuvia par Qualcomm en 2021, une start-up fondée par des anciens de l’équipe de conception des puces d’Apple. À l’origine, Qualcomm a acheté Nuvia pour se donner plus de moyens pour concurrencer les puces x86 d’Intel et d’AMD, et les puces customs d’Apple. Avec cet achat, Qualcomm a également considéré que la licence architecturale détenue par Nuvia lui revenait de droit, et qu’il pouvait continuer à l’utiliser, à développer et à adapter le design de Nuvia pour ses propres besoins. Par conséquent, Qualcomm a commencé à exploiter ces nouveaux atouts - notamment ceux des cores Phoenix, initialement conçu pour le marché des serveurs - pour la conception de ses puces et à remplacer l’ancienne architecture Kryo basée sur les cores CPU Cortex licenciés par Arm. C’est bien à partir du travail de Nuvia que Qualcomm a conçu les cores Oryon pour le marché mobile. Ceux-ci sont à la base des dernières créations de Qualcomm, y compris les Snapdragon X Elite et Snapdragon X Plus.
Ce développement n’a pas particulièrement plu à Arm. Dès 2022, Arm s’est retourné contre Qualcomm en affirmant que l’acquisition de Nuvia enfreignait une licence spécifiquement destinée à la conception de puces pour serveurs et qu’un transfert ne peut avoir lieu sans sa bénédiction (qui aurait probablement donné lieu à un nouvel accord de licence). Dans la foulée, le Britannique a exigé que Qualcomm et Nuvia détruisent tous les modèles créés par Nuvia avant l’acquisition, ce qui n’a visiblement jamais été fait, alors que Qualcomm a absorbé Nuvia et son travail. En revanche, les anciennes licences architecturales de Nuvia ont tout de même été dissoutes en 2023, suivant l’échec d’un nouvel accord entre Qualcomm et Arm.
Bref, c’est compliqué, et chaque parti est forcément convaincu d’être dans son bon droit, et que la justice finira par le reconnaitre et l’affirmer... De son côté, Qualcomm n’a clairement plus envie de payer pour une licence de cores CPU Cortex ni de se faire plumer par Arm avec un nouvel accord de licence plus onéreux. De l’autre, Arm est sans aucun doute frustré par le manque à gagner en raison de la perte de la vente de licence de design de CPU à Qualcomm, alors que celui-ci préférerait maintenant se contenter d’une licence pour le jeu d’instruction Arm. Ce qui est, on l’imagine, bien moins lucratif, et Qualcomm n’est pas un petit morceau. Y'a assurément de gros sous en jeu dans cette historie, d'où la dispute qui dure...
Et sinon, toute cette affaire, pourrait-elle être une aubaine pour la concurrence ? Comme Lunar Lake d’Intel ? Sinon, ne serait-ce peut-être pas le moment rêvé pour Qualcomm de rejoindre l’alliance du x86 avec AMD et Intel, histoire de faire un joli pied de nez à Arm ? Ou de se rapprocher davantage d’Intel, d’une manière, ou d’une autre ? Ou de mettre les bouchées doubles avec RISC-V, pourquoi pas en rachetant une énième startup ? Rendez-vous en décembre (ou peut-être même avant) pour la suite des événements... (Source : Bloomberg, Ars Technica, Computerbase)
Même en ces temps difficiles et la menace d'Arm et RISC-V, je doute qu'Intel souhaite un larron de plus dans le marché x86, et AMD aurait certainement son mot à dire. Le rachat d'Intel, ça semble trop gros. C'est l'option bouchée double sur RISC-V qui me semble la plus probable, même s'ils vont probablement devoir se plier aux exigences d'Arm à court terme.
Faut pas ouboier que Qualcomm est aussi une société « patent troll » et qu’elle s’est créée un monopole dans le monde de la téléphonie (modem, antennes relais, etc.). Impossible de commercialiser en Europe et aux US sans un modem Qualcomm, et ils en profitent pour faire payer le modem + une licence d’utilisation aux fabricants de téléphones.
Qualcomm a déjà eu plusieurs procès pour pratiques anti-concurrentielles un peu partout dans le monde. Mais faut croire que ça rapporte plus de continuer à payer des amendes que de respecter la loi.