Fort de l’accomplissement de la stratégie 5N4Y (quatre ans, cinq nodes de gravure) entamée par l’ancien PDG Pat Gelsinger, le géant bleu a désormais entre les mains une offre étoffée de finesses de gravures, dont nous rapportons les multiples détails par ici. Pourtant, l’Intel Foundry Direct Connect était pour la firme plus qu’un moyen de faire le point sur ses technologies, mais une opération de communications quant à la volte-face progressive de la partie production des bleus — une fois encore, conformément à la stratégie IDM 2.0 entamée par le précédent dirigeant — : être capable de fournir un service de fonderie (presque) pure-play, c’est-à-dire la capacité d’accompagner des clients désireux de manufacturer leurs puces sur un procédé d’Intel sans pour autant se reposer sur une microarchitecture maison.
Le discours du président a posé les fondamentaux : Lip-Bu Tan est déterminé à ne pas abandonner Intel Foundry, quoi que les bruits de couloirs aient pu laisser penser. Et, dans le monde extrêmement compétitif des semi-conducteurs, une loi règne : plus on produit, mieux on produit. La diversification des activités, des partenariats et des procédés est cruciale à la survie des activités de gravure de silicium, ce que la direction semble avoir bien intégré. À cela se rajoute une conjoncture politique de protectionnisme cherchant à maximiser la production locale — sacré paradoxe au vu de la complexité et de la globalisation quasi totale des chaînes d’approvisionnement du domaine —, ce qui favorise le géant bleu américain en renforçant la pertinence des choix d’investissements aux États-Unis. Parfaite illustration de ce choix technologique, le 18A et le 14A sont mis au point entièrement en Amérique, avec une production de masse du premier cité en Oregon suivi en fin d’année par l’Arizona. Avec l’ajout de capacités de packaging et de test à l’usine de New Mexico, la firme sera capable de produire des puces sans franchir de frontière.
Ces décisions stratégiques de répartition de la chaîne de production n’avaient d’ailleurs pas attendu la présidence Trump II pour favoriser la production aux USA du fait de la proximité entre Intel et le gouvernement, plus particulièrement en matière d’industrie de défense. Reste encore à développer les filières de formation de main-d’œuvre spécialisée, un problème que nous retrouvons d’ailleurs également en Europe. Quant aux tarifs douaniers, les acteurs du secteur sont évidemment méfiants, mais le rôle de chaque étape de transformation du silicium et de son assemblage — très souvent éclatées géographiquement — dans la prise de valeur du produit fini est si peu clair (même pour les décideurs !) qu’une législation imposant fiscalement la chose a peu de chance de se retrouver pertinente.
Ces garanties de stabilités offrent un argument de taille aux clients des fondeurs habituels tel TSMC, et peuvent en partie expliquer l’injection récente de fonds de ce dernier dans les usines bleues. Cependant, entre produire ses processeurs/GPU et offrir un service de fonderie type pure player, il y un monde ; qu’Intel tente comme il peut de franchir. Uniformisation des méthodes de designs avec les standards industriels, mise en place d’activités de conseils et de co-design, aller-retour entre les besoins des architectes et les contraintes des procédés existants, quitte à développer de nouvelles versions des nodes plus adaptées comme le 18A-P (avec une certaine ironie, puisque les multiples refreshs à l’époque Skylake étaient dû à… un trop fort couplage entre les équipes de conception architecturales et celles mettant au point le 10 nm) : le changement est long et rude pour la firme. Intel va jusqu’à remercier ses clients pour le savoir qu’ils apportent dans cette transition. Un aveu d’immaturité, pour sûr, mais qui a le mérite de l’honnêteté.
Heureusement pour le fondeur de Santa Clara, son influence dans le secteur lui a permis de nouer des partenariats, et d’offrir un portfolio d’IP (intellectual property, ce qui signifie dans ce contexte un bloc logique comme un contrôleur d’IO pu un certain type de mémoire on-chip) adaptés aux procédés de la maison de manière à crédibiliser l’offre de production. Lors de l’Intel Direct Connect, trois entreprises ont été mises en avant : Cadence et Synopsis pour l’élaboration d’IP compatibles 18A et 14A, et Siemens pour l’aide à la mise au point et à la fiabilisation des procédés de gravures. Lip-Bu Tan ayant été pendant 22 années à la tête de Cadence, un tel rapprochement stratégique n’est en rien surprenant. Reste à voir quelle boite sautera le pas pour la production de masse ; toutes souhaitant pour le moment rester dans l’ombre tant que le procédé n’est pas 100 % opérationnel. Parmi la montagne d’IP disponibles, la présence de HBM4 fait mouche, les classiques contrôleurs GPIO, PCie et consort étant également de la partie. Notez que Cadence proposent des outils de vérification des designs, complémentant ainsi l’offre d’accompagnement des clients d’Intel de la création jusqu’à la production.
Côté chiplets, Intel propose également son expertise unique d’assemblage de tuiles à ses clients, qu’il s’agisse de mixer des bouts de silicium issus de procédés internes, mais aussi externes. D’ailleurs, la certification d’un partenaire coréen Amkor Technology comme prestataire externe des méthodes de packaging 3D approuvées pour fin 2026 par Intel semble pointer vers des collaborations possibles avec Samsung Foundries dans la fabrication de puces accélérées par EMIB et FOVEROS (dont nous vous récapitulons également les diverses saveurs prochainement !). Pour cadrer tout cela, Intel a créé avec 14 autres partenaires membres la Intel Foundry Chiplet Alliance et la Value Chain Alliance, chargée de proposer des tuiles interconnectables par EMIB de manière standardisée. Intel nous ayant déjà fait le coup aux débuts de FOVEROS avec une alliance similaire sans résultat probant, gageons que cette tentative-là soit davantage couronnée de succès.
Vous l’aurez compris, Intel mise sur la crédibilité et la transparence pour restaurer la confiance, ce qui ne pourra pas se faire sans régularité des résultats sur le long terme — bon courage au vu de la situation politique. Après plus d’une dizaine d’années de difficulté de mise au point des gravures, les clients vont demander des preuves tangibles de la fiabilité des procédés avant de s’engager : voilà qui en dit long sur les attentes des prochains 18A et 14A, alors même que la firme est encore en restructuration interne dans le but d’optimiser les processus décisionnels en limitant les couches inutiles. Traduction : Lip-Bu compte travailler à budget limité et augmenter drastiquement l’efficacité globale d’Intel. Rendez-vous d’ici quelques années pour en voir les conséquences !
