Hardware & Control + F5

Ci-dessus, votre épisode en version podcast

Dans l'épisode précédent, Eric venait de craquer en dépensant une fortune en CPU au nom de Hardware & Co. Dans l'épisode du jour, le rédac' chef adjoint vit une journée comme les autres.

Lorsque retentit la sonnerie du téléphone de Nico, ce dernier se trouve à bord d'un jet qui l'emporte du Cambodge vers San Jose, en plein cœur de la Silicon Valley. Le téléphone a beau sonner, il s'en moque comme d'une guigne et dort à poings fermés. Sans doute Jim K. aura-t-il eu vent de sa proche arrivée sur le sol Californien et veut-il essayer de s'insérer dans son planning overbooké mais, si c'est le cas, il peut se brosser. Nico n'a pas que ça à faire. Il ne vient pas là pour le plaisir ou pour dispenser des conseils individuels à des gens moins qualifiés que lui. Non, s'il est là, c'est pour donner une conférence à Caltech sur l'utilisation de modules FPGA combinés à des puces IA au service d'un fork d'Arch Linux orienté quantique. Vous n'avez pas compris ? Nous non plus, pas davantage que les stagiaires qui viendront assister à la conférence, d'ailleurs. Enfin, comme il applique la formule académique consacrée qui veut que, moins on comprend, plus ça a l'air intelligent, il sera grassement rémunéré pour raconter n'importe quoi.

L'hôtesse de l'air le sort de sa torpeur en lui murmurant des mots doux à l'oreille et il émerge de la brume tandis que l'avion, ayant amorcé sa descente, pénètre une couche de nuages. Il repousse la soupirante d'un geste de la main distrait et se repasse son programme de la journée. Il serait bien allé faire une bise à Lisa pour lui dire quelle grille tarifaire appliquer aux Navi 32 mais il n'a décidément pas le temps. Lorsque la porte s'ouvre et que la passerelle se déplie devant Nicolas, ses potes Tim, Pat et Jensen l'attendent et lui jettent des poignées de pétales de coquelicots, seule fleur que le Lead Programmer de H&Co tolère de voir au mois d'août et ses amis le savent bien. Il prend quelques secondes pour les saluer et accepte de poser sur leurs selfies pendant que sa Goldstar est tirée hors de la soute.

Aussitôt fait, il enfourche sa bécane et, les cheveux au vent (il fait partie des rares membres de l'équipe à avoir des poils sur le caillou), commence à avaler les kilomètres. En passant devant un diner, il décide de s'arrêter pour le prendre en photo. Il dégaine son Fairphone et tombe alors sur des tonnes de notifications. Manifestement, il y a un gros bug sur H&Co, le site est tout cassé et, comme lorsqu'il y a le feu dans une maison close, c'est la débandade et les gens sont paniqués. Pas de problème. Il griffonne quelques lignes de code et son hologramme, qui est dans les locaux, prend les choses en mains pour permettre à l'équipe de s'en sortir. "Tout va bien aller, fermez les autres onglets et faites un Control + F5, un Control + F5, un Control + F5, un Control + F5..." répète l'hologramme, en boucle et, un à un, chacun retrouve son calme. C'est le problème du décalage horaire : il avait envoyé des modifications en prod pendant son vol et, comme d'habitude, les autres ont oublié de vider le cache avant de signaler des bugs à leur réveil. En quelques clics, il programme le même message sur le répondeur automatique de la hotline du site.

La conférence se déroule sans accrocs. En clôture de son intervention, il demande au public s'ils ont des questions et plusieurs mains se lèvent. Il prend alors une photo des mains levées et s'en retourne sur sa moto sans leur accorder un regard de plus. Il a promis à Elon qu'il lui filerait un coup de main pour réduire l'empreinte écologique de ses lanceurs de satellites et Nico est un homme de parole. Cependant, il ne parvient toujours pas à digérer la nouvelle icône de son réseau social qui lui donne l'impression d'avoir un site de boules en favori, alors l'autre va l'attendre un moment. Surtout qu'il est à plus de 2000 bornes du Texas, ce sera pour une autre fois. Non, ce qu'il veut faire là, tout de suite, c'est rouler tranquille jusqu'à la plage, commander des churros et les prendre en photo avant de les donner aux mouettes. Un sacré programme !

Les orteils en éventail, allongé sur le sable, il jette un œil distrait aux échanges entre membres de la rédaction de Hardware & Co. Aux dernière nouvelles, les finances seraient au plus mal et la boite serait frappée d'interdit bancaire, sans que personne ne sache pourquoi. Pour couronner le tout, Eric ne serait jamais revenu du mariage de sa mère. Hum... voilà qui est étrange. Il pourrait, bien sûr, régler le problème financier d'un simple coup de fil mais, à un moment donné, il faut aussi qu'ils apprennent à voler de leurs propres ailes, se dit-il. S'ils ne peuvent pas se débrouiller sans lui, alors qu'il a tant donné pour le site et qu'il leur a en plus laissé un hologramme et des topinambours, ils n'arriveront jamais à rien. Il range son téléphone, remet son appareil photo autour de son cou, enfile ses lunettes d'aviateur et repart vers l'aéroport.

"Docteur D., nous amorçons notre descente vers Taïwan. Puis-je vous servir une flute de champagne ?" lui demande l'hôtesse, avec un grand sourire et des yeux rieurs. Il ne lui répond pas et griffonne une note dans son calepin. Qu'elle lui propose du champ' au lieu de lui servir un chai latte à la cannelle, voilà qui est inacceptable, il faudra lui trouver une remplaçante. "Et des chatons !" rajoute-t-il sur son carnet en le soulignant trois fois. Pourquoi faire ? Nul ne le sait. Ce soir, il est mandaté par l'Union Européenne pour utiliser son charme afin de démarcher un fondeur célèbre et le convaincre de bien vouloir s'implanter sur le sol européen. Il hésite encore à savoir quoi lui proposer entre l'Italie, la France et l'Allemagne. Ça dépendra sûrement du dessous-de-table que lui proposeront les États. Qu'on ne compte pas sur lui pour faire du bénévolat ! S'il n'utilise que des logiciels libres, c'est uniquement pour économiser, et ses services se paient rubis sur l'ongle.

Selon la tradition asiatique, les affaires se traitent à table. Pendant que Nico déguste un animal marin des profondeurs en compagnie d'un aréopage de types en costard, son biper retentit. Apparemment, il serait attendu en Ukraine de toute urgence pour améliorer leurs capacités de cyberdéfense. Aucune mention de la rémunération n'est indiquée dans le message, aussi éteint-il l'appareil et se remet à manger du calamar géant. Tout en souriant à ses hôtes et en battant des cils au ralenti, il réalise qu'il n'a pas encore été une seule fois appelé pour déjouer une prise d'otage aujourd'hui et se demande si sa vie ne serait pas en train de devenir un petit peu monotone...

Comme tous les dimanches, retrouvez un nouvel épisode de votre saga de l'été la semaine prochaine !