Internet Fake Rating

Mozilla rachète Fakespot et rejoint les nombreuses initiatives publiques ou privées pour lutter contre la prolifération de faux avis de consommateurs.

Quiconque a vécu quelques années au XXIème siècle ne sera pas surpris outre mesure si nous vous disons que les avis de consommateurs présents sur les sites de vente en ligne ne sont pas forcément écrits par des humains. Ou alors que, quand ils le sont, il ne s’agit pas forcément de consommateurs désirant partager un retour d’expérience, mais, parfois, qu’ils sont rédigés en échange d’une incitation financière ou matérielle, ou encore pour poursuivre un intérêt commercial.

Et tout cela pose des problèmes directs aux clients qui s’estiment légitimement trompés sur la marchandise, aux associations de consommateurs, aux États qui essaient de légiférer sur la question ainsi qu’aux plateformes de vente elles-mêmes lorsqu’elles se retrouvent mises en cause par la justice pour ne pas avoir suffisamment cherché à enrayer le phénomène.

Dans une affaire Raimondi Immobilier, la 17ème chambre du tribunal judiciaire de Paris a condamné en diffamation, le 22 juin 2022, une internaute ayant laissé plusieurs avis négatifs sur Google au motif que : « Loin de relever du droit à la libre critique de produits ou prestations de services, ces messages frauduleux, qui ne reposent sur aucune base factuelle, procèdent d’une intention de nuire de la demanderesse et caractérisent un dénigrement fautif ». Il ne s’agit là que d’un exemple d’un contentieux mettant en cause un particulier.

Plus largement, des plateformes comme Amazon, Google, AirBnB, Facebook et autres sont de plus en plus souvent inquiétées pour un manque d’efforts allégué quant à leur lutte contre la prolifération de faux avis. L’autorité britannique sur la concurrence, la Competition and Markets Authority s’intéresse de près à ces questions depuis plusieurs années et engendre, chez les GAFAM, un renforcement de leurs mesures de lutte contre les abus.

La normalisation, une première initiative officielle

Afin de lutter contre les dérives, des organismes officiels sont chargés d’élaborer et d’éditer des normes. En France, il s’agit de l’association française de normalisation (AFNOR), qui va notamment produire les normes NF et, au niveau global, de l’organisation internationale de normalisation, productrice des normes ISO.

La norme ISO 20488, publiée en 2018, dresse un inventaire des problèmes rencontrés avec les avis en ligne, révélateur de la nécessité d’intervenir pour mettre un terme à certaines pratiques :

  • les faux avis positifs rédigés par le fournisseur lui-même dans l’intention d’induire les consommateurs en erreur ;
  • les faux avis négatifs rédigés par les concurrents d’un fournisseur visant à éloigner les consommateurs de l’organisation ;
  • l’activité des entreprises spécialisées dans la « gestion de la réputation en ligne » qui proposent des services aux sociétés de e-commerce pour améliorer leurs avis en ligne ;
  • les consommateurs utilisant leur nouveau statut de critique public et obtenant ainsi de meilleures conditions ou autres avantages à un fournisseur sur lequel ils donnent leur avis ;
  • le manque de confiance dans la véracité des avis de consommateurs, et les doutes sur le fait que les organisations sélectionnent les meilleurs avis et retirent les avis négatifs ;
  • les fournisseurs qui demandent aux consommateurs de rédiger des avis positifs ou qui les pénalisent lorsqu’ils rédigent des avis négatifs, parfois en interdisant aux consommateurs de rédiger un avis négatif.

Cette norme est publiée en France par l’AFNOR et disponible contre un paiement à partir de 104,67 euros hors taxes, dans sa version la plus minimaliste. Le coût prohibitif de l’accès à ces documents normatifs est une critique qui revient régulièrement en ce qu’il empêche des acteurs aux moyens limités de s’y conformer ou, en l’occurrence, des rédacteurs de les commenter in extenso.

La norme NF522, elle aussi facultative, permet à l’AFNOR de certifier un certain nombre d’acteurs exerçant des activités relatives à la gestion des avis, en passant par des étapes d’audit et de contrôles. Si elle permet aux internautes d’avoir une plus grande confiance envers les sociétés certifiées, le coût de cette certification, qui est fait sur devis, restreint grandement le champ des organismes susceptibles d’être certifiés. Parmi ceux-ci, les plus connus sont sans doute Cdiscount, Net Reviews (Avis vérifiés) et Trust Pilot.

Ce que dit la loi

Nous l’avons vu, si le respect des normes de standardisation n’est pas obligatoire, le poids des avis laissés par des clients dans le cadre de la vente en ligne est énorme. Les pratiques commerciales déloyales ou trompeuses sont interdites et l’article L. 121-4 du Code de la consommation indique notamment :

Sont réputées trompeuses […] les pratiques commerciales qui ont pour objet : […] De faussement affirmer ou donner l’impression que le professionnel n’agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ou de se présenter faussement comme un consommateur.

Il devenait donc urgent de légiférer pour encadrer la gestion des avis et l’article 52 de la loi Pour une République numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 a notamment modifié le Code de la consommation comme suit :

« Art. L. 111-7-2. […] Toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne.
« Elle précise si ces avis font ou non l’objet d’un contrôle et, si tel est le cas, elle indique les caractéristiques principales du contrôle mis en œuvre.
« Elle affiche la date de l’avis et ses éventuelles mises à jour.
« Elle indique aux consommateurs dont l’avis en ligne n’a pas été publié les raisons qui justifient son rejet.
« Elle met en place une fonctionnalité gratuite qui permet aux responsables des produits ou des services faisant l’objet d’un avis en ligne de lui signaler un doute sur l’authenticité de cet avis, à condition que ce signalement soit motivé.
« Un décret, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe les modalités et le contenu de ces informations. »

Ledit décret, n° 2017-1436 du 29 septembre 2017, sur la manière concrète d’appliquer cette loi, apporte les précisions techniques suivantes :

  • […] Un avis en ligne s’entend de l’expression de l’opinion d’un consommateur sur son expérience de consommation grâce à tout élément d’appréciation, qu’il soit qualitatif ou quantitatif.
  • L’expérience de consommation s’entend que le consommateur ait ou non acheté le bien ou le service pour lequel il dépose un avis.
  • Ne sont pas considérés comme des avis en ligne […] les parrainages d’utilisateurs, les recommandations par des utilisateurs d’avis en ligne, ainsi que les avis d’experts.
  • [Il est obligatoire d’indiquer de manière claire et visible], à proximité des avis : L’existence ou non d’une procédure de contrôle des avis ; la date de publication de chaque avis, ainsi que celle de l’expérience de consommation concernée par l’avis ; les critères de classement des avis parmi lesquels figure le classement chronologique.
  • [Il est obligatoire d’indiquer de manière claire et visible], dans une rubrique spécifique facilement accessible : L’existence ou non de contrepartie fournie en échange du dépôt d’avis ; le délai maximum de publication et de conservation d’un avis ;  les caractéristiques principales du contrôle des avis au moment de leur collecte, de leur modération ou de leur diffusion ; la possibilité, le cas échéant, de contacter le consommateur auteur de l’avis ; la possibilité ou non de modifier un avis et, le cas échéant, les modalités de modification de l’avis ; les motifs justifiant un refus de publication de l’avis.
  • Lorsque la personne exerçant l’activité mentionnée à l’article L. 111-7-2 refuse la publication d’un avis, elle informe son auteur des motifs de refus par tout moyen approprié.

Chaque fois que nous reproduisons pour vous des textes de loi, la présence de crochets indique des coupes ayant été faites dans une optique de simplification (généralement la suppression de renvois vers d’autres codes ou d’autres articles). Les liens présents, pointant vers Légifrance, vous permettent d’accéder à leur version intégrale et officielle si vous désirez vous y référer.

Les manquements aux obligations légales précitées sont désormais susceptibles d’entraîner une amende de 75 000 euros pour les personnes physiques et de 375 000 euros pour les personnes morales, ce qui devrait avoir de quoi décourager la plupart des plateformes. Car c’est bien la plateforme qui est responsable de la gestion des avis et non pas le vendeur dans le cadre des marketplaces, ce qui permet de faire appliquer la loi plus facilement que s’il fallait poursuivre un vendeur domicilié à l’étranger.

Mozilla rachète la startup Fakespot

C’est dans ce cadre-là que Mozilla, dans un billet de blog, vient d’annoncer son rachat de la société Fakespot, startup spécialisée dans la détection de faux avis sur internet à l’aide d’intelligence artificielle et de machine learning. Présente comme extension pour la plupart des navigateurs, la société avait notamment dressé, en pleine crise du COVID, un constat déplorable : 42 % des avis présents sur la plateforme Amazon auraient alors été des faux. Mozilla, qui poursuit de longue date et de façon constante, des objectifs tendant à un internet « sain », selon ses propres mots, s’engage à poursuivre les investissements dans Fakespot, y compris en tant qu’extension multiopérable, mais une intégration plus poussée dans Firefox est envisagée.

Cela pourra représenter un outil supplémentaire et plus généralisé que ce que Fakespot peut proposer actuellement et, si cela participe à lutter contre les abus, nous ne pouvons que nous en réjouir.

Vaark


  • Il faudrait faire un tour côté Microsoft, l'autre jour j'ai cliqué sur l'icône jeux du menu démarrer, je suis arrivé sur le store, j'ai vu des jeux basiques (sudoku) les commentaires étaient tous positif (pas de pub, addictif...), j'installe le machin, pensant retrouver un démineur / solitaire de l'époque : infesté de publicité, du pay to win médiocre avec des timers pour débloquer des trucs !

    Je le désinstalle sur le champ, et laisse une note médiocre en signalant le surplus de publicité rendant ce jeu inutilisable.

    Mon avis a été supprimé par Microsoft ! Par contre les 30k avis positif qui indiquent qu'il n'y'aucune pub n'ont bizarrement pas été modérés !

    Je n'ai pas non plus eu de motifs clairs, juste un message générique "courrier indésirable, publicité, blasphème, contenu offensant ou contenu inapproprié".

    Donc là concrètement MS risquerait 375000€ d'amende ? Où on va me répondre que ça ne s'applique pas parce qu'ils ont décidé unilatéralement de ne pas respecter le droit Français / Européen.

     

    • Si Microsoft n'a pas publié ton avis, sans motivation légitime et appropriée à celui-ci, la firme est effectivement passible de 375 000 euros d'amende.

      C'est la loi, nous sommes encore dans un état de droit, elle s'applique à tous et y compris aux plateformes étrangères qui ne peuvent pas décider unilatéralement de refuser de la respecter :)

      Maintenant, concrètement, réussir à les faire condamner c'est une autre paire de manches. Cela passerait par un signalement à la DGCCRF, qui te demanderait sans doute d'engager au préalable un recours amiable auprès de Microsoft et qui aurait ensuite toute latitude pour engager ou non des contrôles afin d'éventuellement faire condamner, ou pas, la firme de Redmond.

      La complexité du recours et le fait que les éventuelles poursuites sont discrétionnaires sont les principaux freins à la mise en application de la loi mais, plus il y aura de signalements, plus il y aura de chances pour que l'Etat tape du poing sur la table et fasse condamner un store.

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