Après une incroyable adoption à l'unanimité en première lecture à l'Assemblée - alors que les députés semblent s'écharper systématiquement depuis plusieurs mois - le texte modifié par le Sénat avait également obtenu l'unanimité des suffrages au palais du Luxembourg. C'est désormais en commission mixte paritaire (CMP) que l'unanimité a été recueillie, pour une loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs les réseaux sociaux .
Nous vous avions proposé une analyse du texte tel qu'il avait été adopté au Palais Bourbon et nous vous proposons désormais d'étudier les changements les plus significatifs intervenus depuis lors.
Qu'est-ce qui a changé ?
Avec un sens de l'à-propos percutant, il est possible de résumer la réponse par "pas grand chose". Après de tels plébiscites, difficile d'imaginer que tout le monde ne soit pas d'accord sur le principe et l'esprit de la loi : "les escroqueries, les risques sanitaires et les fraudes engendrés par les influenceurs doivent cesser". Le texte adopté en CMP comprend certaines retouches de plumes, quelques modifications de détails à la marge (changements de nomenclature, rappel des textes applicables...), mais tout de même certains ajouts et modifications qui méritent d'être relevés.
Ces derniers vont parfois durcir les sanctions, parfois préciser des points qui étaient jusqu'à lors relégués à un décret d'application, et parfois prendre en compte des usages qui n'avaient pas été relevés par les députés.
Sur la santé
Outre l'interdiction formelle de faire la promotion d'actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique, portant atteinte à la protection de la santé publique, le nouvel alinéa 2 B I bis. ajoute désormais une interdiction cruciale :
Toute promotion, directe ou indirecte, de produits, actes, procédés, techniques et méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, protocoles ou prescriptions thérapeutiques.
La désinformation durant la période COVID a laissé des marques et le législateur entend désormais protéger les citoyens contre toute incitation à ne pas se faire soigner par des professionnels qualifiés.
Il poursuit avec l'alinéa suivant avec l'interdiction de faire la promotion de produits nicotinés, probablement pour protéger les mineurs contre la consommation croissante de liquides pour cigarettes électroniques par ces derniers :
Est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, des produits considérés comme produits de nicotine pouvant être consommés et composés, même partiellement, de nicotine.
Puis encore, dans l'alinéa suivant, une interdiction qui porte sur les animaux dangereux ou, à tout le moins, ceux qui ne sont pas reconnus comme domestiques :
Est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, impliquant des animaux n’appartenant pas à la liste [des animaux domestiques]. Cette interdiction ne s’applique pas aux établissements autorisés à détenir ces animaux conformément à l’article L. 413‑3 du code de l’environnement.
Autant pour la promotion vidéo des punaises de lit chères à Thibaut G. qui devra désormais trouver une nouvelle mascotte !
La CMP supprime enfin la mention de l'interdiction de faire la promotion de substances illicites, qui pourrait apparaître redondante puisqu'elles sont... illicites. Pour retrouver la liste de tous les autres produits dont cette loi interdit ou restreint la promotion, nous vous invitons à retourner sur notre analyse de la proposition de loi.
Sur les mentions obligatoires
La proposition de loi indiquait que toute promotion d'un bien, d'un service ou d'une cause devait être présentée comme telle durant l'intégralité de la promotion mais la loi adoptée en CMP est désormais beaucoup plus explicite :
La promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque réalisée par les personnes mentionnées à l’article 1er doit être explicitement indiquée par la mention « Publicité » ou la mention « Collaboration commerciale ». Cette mention est claire, lisible et identifiable sur l’image ou sur la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion.
Vous nous direz sans doute "il était temps", et nous ne pouvons qu'approuver, en soulignant votre sagacité et votre sens aigu de la responsabilité. Nous vous invitons tout de même à utiliser le module de commentaires plutôt qu'à venir nous taper sur l'épaule pendant la rédaction des billets, si vous le voulez bien.
Pour lutter contre les incitations dangereuses à atteindre des degrés de maigreur inatteignables, la proposition de loi imposait le mention images retouchées lorsque c'était le cas, et la loi adoptée en CMP va désormais plus loin, intégrant l'essor de l'intelligence artificielle dans la production graphique :
Les contenus communiqués [par les influenceurs] comprenant des images ayant fait l'objet d’une production par tous procédés d’intelligence artificielle visant à représenter un visage ou une silhouette sont accompagnés de la mention : « Images virtuelles »
En attendant une législation encadrant globalement l'usage de l'IA, notamment en ce qui concerne les droits d'auteur, voici une première étape qui nous paraît intéressante.
Sur les sanctions et responsabilités
La copie validée en CMP renforce certaines des sanctions prévues par la proposition de loi. Ainsi, les sanctions qui étaient alors passibles de 6 mois d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende sont toujours soumises au même montant d'amende mais la peine de prison peut désormais monter jusqu'à 2 ans, y compris pour l'absence des mentions "publicité" ou "collaboration commerciale", au titre de pratiques commerciales trompeuses.
En ce qui concerne l'absence des mentions images retouchées ou images virtuelles, cette violation est passible d'un an d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende.
Lorsque des influenceurs font la promotion d'un produit sans se charger de son expédition ou de sa livraison, leur responsabilité directe est désormais engagée, bien davantage qu'elle ne l'était dans la proposition de loi :
Les [influenceurs] dont l’activité est limitée à la seule commercialisation de produits et qui ne prennent pas en charge la livraison de ces produits, celle‑ci étant réalisée par le fournisseur, sont responsables de plein droit à l’égard de l’acheteur...
Ils pourront donc être directement tenus pour responsables et devront s'assurer que les produits sont disponibles, licites et qu'ils ne sont pas des contrefaçons.
Si beaucoup d'influenceurs se trouvent à l'étranger (et en particulier à Dubaï), la loi adoptée renforce les mécanismes de contrôle en imposant, outre la souscription d'une assurance civile au sein de l'Union européenne, la désignation d'un représentant légal sur le territoire de l'UE.
La personne désignée pour assurer une forme de représentation légale est chargée de garantir la conformité des contrats ayant pour objet ou pour effet la mise en œuvre d’une activité d’influence commerciale par voie électronique visant notamment un public établi sur le territoire français. Cette personne est également chargée de répondre, en sus ou à la place des [influenceurs] à toutes les demandes émanant des autorités administratives ou judiciaires compétentes visant à la mise en conformité avec la présente loi.
Les [influenceurs] donnent à la personne ainsi désignée les pouvoirs nécessaires et les ressources suffisantes pour garantir une coopération efficace avec les autorités compétentes pour se conformer à la présente loi.
Cette représentation territoriale ne vaut pas établissement dans l'Union européenne et les influenceurs peuvent toujours être domiciliés à l'étranger, mais leur "représentant" (sans doute leur agence d'influence) devra avoir les reins sacrément solides pour s'assurer que les règles sont respectées.
Et ensuite ?
Dans le texte adopté à l'Assemblée, trois étapes devaient permettre l'information du Parlement pour un éventuel réexamen. Elles étaient définies par les articles 6, 7 et 8 et comprenaient, pour le premier, un rapport de mise en adéquation remis par le Gouvernement après 6 mois, pour le second un rapport d'évaluation de la mise en œuvre après 3 ans et enfin pour le dernier, un rapport de l'Agence nationale de santé publique après 6 mois, pour définit un indicateur clair concernant les compléments alimentaires, de type Nutri-score.
Le premier et le dernier rapport ont été supprimés de la copie adoptée sans que nous soyons en mesure d'en déterminer les raisons de façon certaine. En revanche, en ce qui concerne le rapport gouvernemental d'évaluation de la mise en oeuvre, il est désormais ramené de 3 ans à 2 ans dans la loi adoptée en CMP.
La CMP ayant été conclusive, un vote solennel prévu autour du mois de juin devrait avoir lieu à l'Assemblée nationale. Il ne restera plus au Président de la République qu'à promulguer cette loi pour qu'elle puisse entrer en application dès sa publication au JO, probablement d'ici l'automne.
Pour consulter le texte intégral adopté par la CMP, il vous suffit de suivre ce lien
Article ma foi fort intéressant, on ne peut que se féliciter d'avoir un cadre juridique mettant un peu d'ordre dans les joyeusetées que l'on trouve sur Youtube...Mais je serai curieux de voir ce que va donner concrètement son application, au vu de l'étendue du boulot.
La profa est über kälitat en passant 😁
Merci Ubu ! Oui, reste effectivement à voir le délai et les contrôles nécessaires pour que la loi soit appliquée, mais avec un tel consensus, on peut espérer que ça fonctionne assez bien/vite !
Pour la profa, c'est une magnifique création de Guillaume pour une image "ayant fait l'objet d’une production par tous procédés d’intelligence artificielle visant à représenter un visage ou une silhouette" ;)