Hardware & Collectionneur de CPU - Episode 3

Ci-dessus, votre épisode en version podcast

Dans l'épisode précédent, Eric daignait passer dans les locaux de la rédaction de H&Co. Dans l'épisode du jour, il se rend à un rendez-vous très particulier.

Pas de traces de pins, ce matin, lorsque le collectionneur de CPU se rend devant son miroir pour se débarbouiller. À la place, c'est la forme caractéristique des processeurs Zen4 qui est imprimée sur sa peau, comme un tatouage. Il se frotte les yeux en faisant la moue et en songeant que, aujourd'hui, il sera obligé de porter des manches longues. À défaut, ses collègues vont croire qu'il a passé la soirée avec Polux et... il vaut mieux que ça. Il avale son café avec une tartine beurrée recouverte de rillettes, comme tous les matins depuis 35 ans (avant, il ne mangeait que du quinoa à chaque repas), et s'apprête à s'habiller.

Devant sa garde-robe, alors qu'il passe en revue ses différentes cravates Bob l’Éponge pour choisir celle qui s'accordera le mieux avec sa chemise bleu canard préférée, la sonnerie du téléphone retentit. "Allo, Riton ? C'est Titi. Est-ce que tu pourrais me rejoindre dans une heure ? C'est une urgence ! Je t'attendrai derrière notre tripot habituel !". Si Thibaut l'appelle pour une urgence, notre collectionneur n'a pas vraiment le choix et modifie à la volée ses projets vestimentaires pour passer inaperçu. Il enfile une casquette de baseball, un poncho péruvien, un pantalon à pinces et une paire de claquettes faisant la part belle à ses chaussettes d'un blanc immaculé, puis se met en chemin.

Une journée qui commence sans qu'il ait pu chanter les louanges de ses processeurs adorés ou leur rendre hommage est une journée qui commence mal. Sitôt sorti de sa demeure, située rue Pignonsur, une averse éclate et déverse des trombes d'eau sur notre pauvre hère qui grimace tandis que ses chaussettes, trempées, glissent à chaque pas dans ses sandales. "Ohlàlà, il ne manquerait plus qu'un oiseau se soulage sur ma casquette" se dit-il alors qu'il continue à marcher en jetant au ciel un regard noir. L'univers, dans son incommensurable mansuétude et son infinie sagesse dut entendre son message car, dans les secondes qui suivent, il se retrouve maculé de guano tombé du ciel, donc béni. Une larme lui échappe mais, les choses étant bien faites, elle se confond avec la pluie qui continue à s'abattre sur lui. Enfin, le tripot, sobrement intitulé "Cigares & Gentlemen", souvenir de nombreuses nuits troubles, apparait au loin.

En arrivant, il dépasse les portes de l'établissement et s'engage dans la ruelle attenante. Face à lui, en train de faire les cent pas, Thibaut est vêtu d'un fedora sombre de type borsalino, d'un doudoune sans manches, d'un short de rugby, de protège-tibias et de chaussures à crampons. Lui aussi croit être ici incognito. "Ah te voilà ! Écoute, j'ai besoin que tu gardes cette carte graphique pour moi, dit-il en lui tendant un sac de marin. J'en ai encore acheté trois la semaine dernière et, si ma femme tombe dessus, je suis un homme mort." "Je veux bien te la garder, mais qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Mon truc à moi ce sont les CPU. Les GPU ça n'a pas de cœur !". "Ah ça, c'est pas si sûr !" lui répond l'autre en souriant, ayant bien compris qu'il ne parlait pas d'électronique.

Décidément, il y a des jours où l'on ferait mieux de rester au lit, songe Eric en rentrant se sécher. Il enfile son pyjama licorne et pousse un soupir de contentement. "Aaaaaah !". C'est décidé, il passera la journée en télétravail, le monde extérieur lui en ayant assez fait baver. Après tant d'épreuves, lorsqu'il pose enfin son séant sur le chesterfield en cuir de son bureau, il avise le sac de marin négligemment posé dans un coin. Une moue dubitative accrochée au visage, il jette un œil à son contenu. Une carte graphique, ça n'est pas susceptible de l'émouvoir, mais elle lui a été confiée par Titi, et Eric fait toujours honneur au matériel remis à ses bons soins. Il entreprend alors d'en dépiauter la carlingue afin de mettre la puce avec les siennes propres, par respect et considération envers son ami. Une fois le ventirad démonté, et le GPU retiré, alors qu'il achève de nettoyer la pâte thermique avec une peau de chamois, il se sent tout entier traversé par une émotion intense. Il en est complètement chamboulé. Des frissons lui parcourent le corps, ses yeux sont écarquillés et, haletant, il semble essayer de goûter l'air ambiant. C'est le coup de foudre.

Une fulgurance le traverse soudain, quand il repense à une phrase prononcée cette semaine par le rédac' chef : "Après tout, c'est qu'un CPU dédié à un autre usage, c'est clair ?". Délicatement, en prenant soin de ne pas brusquer la puce, il la dépose sur un petit coussin de velours, met par-dessus une cloche de verre, travaille son éclairage et s'assied près de cette petite merveille. Le visage entre les mains, il passe des heures à la regarder. Souvent, il lui parle, lui murmure quelques mots doux et, parfois, lui chante des chansons d'amours tristes. La journée file désormais à toute vitesse. Il lance quelques boucles sur son banc de test mais ne regarde plus les écrans défiler en essayant d'anticiper les résultats. Il se contente de les rapporter sur son tableur et passe tout le reste de son temps béat, en adoration.

Les êtres humains sont des créatures étranges qui finissent par se lasser de tout si on leur en laisse le temps. À la fin de la journée, c'est terminé, le moment de grâce est passé et la passion éteinte aussi vite qu'elle s'était embrasée. Il reprend sa routine crépusculaire habituelle mais, sur le point de se rendre dans l'aile ouest, celle où sa collection fascinante est exposée et brille de mille feux, il s'arrête sur le seuil, interdit. Il a fauté, il le sait, et il cède sous le poids de ses remords qui l'accablent. Il tombe à genoux à l'entrée de son exposition, en sanglotant. Ce soir, il ne mérite pas de toucher ses précieux processeurs. La mort dans l'âme, il erre dans son domicile telle une âme en peine.

Demain, il rendra à Thibaut sa puce pleine de venin et lui dira qu'il n'a qu'à la confier à quelqu'un d'autre. À Kevin par exemple, qui est toujours prêt à tout pour la moindre goute de puissance graphique supplémentaire. Mais ça... C'est pour demain. Eric se prépare à passer la nuit seul, accablé de tourment.

La saga du collectionneur de CPU avance à grands pas et atteindra son apogée dans le prochain épisode. Dites-nous quels membres de l'équipe vous souhaiteriez voir se retrouver sous les feux des projecteurs pour le mois d'août !

Retrouvez, la semaine prochaine, la fin des aventures du H&Collectionneur de CPU.