Balance Justice Numerique V2

Une loi adoptée le 29 juin oblige les réseaux sociaux à empêcher les moins de 15 ans à se créer un compte sans accord parental exprès. Analyse du dispositif.

Présentation de la loi

La loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne tend à encadrer l'utilisation des réseaux sociaux par les moins de 15 ans, en subordonnant leur utilisation à une autorisation d'un titulaire de l'autorité parentale (concept ayant remplacé celui de puissance paternelle depuis 1970) préalable, à la bonne information de ces mineurs ainsi que de leurs parents quant à l'usage qui sera fait de leurs données, et d'autres dispositions.

Elle est issue d'une proposition de loi du groupe Horizon (majorité présidentielle) à l'Assemblée nationale et fut définitivement adoptée, après commission mixte paritaire, par un vote mercredi dernier à l'Assemblée ayant réuni 168 voix en faveur de la loi contre 19 (issues d'une partie de la NUPES) puis enfin jeudi, au Sénat, à l'unanimité des votants.

Cette loi porte principalement sur des modifications de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin de lui faire préciser des dispositions relatives aux réseaux sociaux et à leur utilisation par les mineurs.

Nous vous en proposons ci-dessous une analyse, article par article, comme nous en avons le secret.

Article 1er - Définition d'un réseau social

« On entend par service de réseaux sociaux en ligne toute plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter et de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils, en particulier au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations. »

Comme souvent, la loi commence par une définition des concepts qui seront concernés par le dispositif. Celle-ci s'ajoute aux définitions de "communication au public par voie électronique", de "communication au public en ligne" et de "courrier électronique" de la loi de 2004 précitée. C'est donc, outre la communication publique de contenus, le fait de proposer des suggestions de contenu et de permettre la mise en relation d'individus qui détermine qu'une plateforme est un réseau social. Sauf précisions supplémentaires apportées dans le décret d'application, il paraitrait possible de déplorer le très large pouvoir d'appréciation du juge sur ce qui relève, ou non, d'un réseau social au vu de cette définition. Les différents sites de presse permettant de déposer des commentaires, à l'instar des médias tel Hardware & Co. pourraient alors potentiellement tomber sous la qualification de réseau social.

Articles 2 et 3 - Répression de la haine en ligne

La loi de 2004 dresse un inventaire, repris dans les CGU de la plupart des sites communautaires, des comportement strictement interdits par la loi lors de communications publiques en ligne qui commence comme suit :

Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie, de la négation ou de la banalisation des crimes contre l'humanité, de la provocation à la commission d'actes de terrorisme et de leur apologie, de l'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l'incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine...

Cet article 2 ajoute à cette liste, après les mots "dignité humaine", ce qui suit : « à la représentation, à la vie privée et à la sécurité des personnes et à la lutte contre toutes les formes de chantage et de harcèlement ». Au même titre que les infractions préexistantes, les réseaux sociaux doivent mettre en place "un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et rendre publics les moyens qu'elles consacrent à la lutte contre les activités illicites". La loi augmente ainsi le champ des comportements contre lesquels il sera possible de faire condamner une plateforme pour défaut de transparence, de moyens ou d'actions, en incluant toutes les formes de harcèlement.

Dans ces moyens de lutte, l'article 3, quant à lui, insère la phrase suivante : « Elles rendent visibles à leurs utilisateurs des messages de prévention contre le harcèlement [...] et indiquent aux personnes auteurs de signalement les structures d’accompagnement face au harcèlement en ligne. ». Les plateformes ne pourront pas se contenter de faire de la censure mais devront désormais se montrer proactives dans l'information de leurs utilisateurs.

Article 4 - Accord parental nécessaire pour les moins de 15 ans

I. Les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France refusent l’inscription à leurs services des mineurs de quinze ans, sauf si l’autorisation de cette inscription est donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale sur le mineur. Ils recueillent également, dans les mêmes conditions et dans les meilleurs délais, l’autorisation expresse de l’un des titulaires de l’autorité parentale relative aux comptes déjà créés et détenus par des mineurs de quinze ans. Lors de l’inscription, ces entreprises délivrent une information à l’utilisateur de moins de quinze ans et aux titulaires de l’autorité parentale sur les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention. Elles délivrent également à l’utilisateur de moins de quinze ans une information claire et adaptée sur les conditions d’utilisation de ses données et de ses droits [...].
 
 « L’un des titulaires de l’autorité parentale peut demander aux fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne la suspension du compte du mineur de quinze ans.
 
 « Lors de l’inscription d’un mineur, les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne activent un dispositif permettant de contrôler le temps d’utilisation de leur service et informent régulièrement l’usager de cette durée par des notifications.
 
« Afin de vérifier l’âge des utilisateurs finaux et l’autorisation de l’un des titulaires de l’autorité parentale, les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne utilisent des solutions techniques conformes à un référentiel élaboré par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés...

Cet article 4 est peut-être le cœur de la loi. Jusqu'à présent, les moins de 13 ans ne sont, en théorie, pas autorisés à s'inscrire sur un réseau social. Cependant, aucune obligation claire ne pèse sur les plateformes pour qu'elles s'en assurent et, dans les faits, la première inscription sur un réseau social interviendrait en moyenne entre 8 et 9 ans, d'après la CNIL.

Les plateformes seront donc désormais tenues légalement, sous peine de sanctions pouvant atteindre 1 % du chiffre d'affaires annuel mondial de l'entreprise de :

  • Refuser l'inscription des moins de 15 ans sur leurs plateformes, à moins d'une autorisation fournie par l'un des titulaires de l'autorité parentale ;
  • Exiger la fourniture d'une telle autorisation pour les comptes déjà existants ;
  • Informer de façon claire les moins de 15 ans ayant pu créer un compte des risques, moyens de prévention de ces derniers ainsi que de l'utilisation faite de leurs données et de leurs droits les concernant ;
  • Suspendre les comptes des -15 dont l'un des titulaires de l'autorité parentale le demande ;
  • Monitorer le temps d'utilisation du RS par ledit mineur et l'en informer régulièrement.

L'intention paraît noble, mais de nombreuses difficultés se présentent pour son éventuelle mise en application :

  • Aucun dispositif technique, qui serait conforme au droit (au respect de la vie privée et familiale repris dans l'art. 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, au RGPD, etc.) n'existe actuellement pour identifier de façon certaine, sur des plateformes privées, l'âge d'un internaute. La simple déclaration de majorité n'est plus jugée suffisante depuis la loi du 30 juillet 2020 tendant à empêcher l'accès des mineurs aux sites pornographiques et pourtant aucune solution technique n'est encore validée ;
  • Si un dispositif technique permettant de différencier les majeurs des mineurs venait à être approuvé, il ne permettrait sans doute pas de différencier les moins de 15 ans des moins de 18 ans et il conviendrait alors de dégager une autre solution technique ;
  • En admettant que ces solutions parviennent à être trouvées (et adoptées), il faudra alors en trouver une autre pour déterminer si un majeur est, oui ou non, l'un des deux (dans la majorité des cas) titulaires de l'autorité parentale sur un mineur particulier ;
  • Le cas échéant, il suffit de l'accord d'un seul parent pour permettre la création du compte et celui-ci doit pouvoir être suspendu à la demande d'un seul parent. Il serait intéressant de voir de quelle façon les plateformes et la justice traiteront les cas de désaccord entre différents titulaires de l'autorité parentale.

Article 5 -Transmission des données à la demande des autorités

La loi de 2004 indique les sanctions dont se rendent passibles les acteurs qui ne conserveraient pas suffisamment longtemps les données ou refuseraient de les transmettre à l'autorité judiciaire :

"Est puni d'un an d'emprisonnement et de 250 000 Euros d'amende le fait, pour une personne physique ou le dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale [...], de ne pas satisfaire aux obligations [...], de ne pas avoir conservé les éléments d'information visés [...] ou de ne pas déférer à la demande d'une autorité judiciaire d'obtenir communication desdits éléments.

Le présent article 5 y adjoint des obligations de délais pouvant être extrêmement brefs, dans le but de faire cesser très rapidement des agissements nuisibles en ajoutant la mention : « dans un délai de dix jours à compter de la réception de la demande ou, en cas d’urgence résultant d’un risque imminent d’atteinte grave aux personnes, dans un délai de huit heures ». Il peut être à craindre, selon la définition des RS donnée à l'article premier, que des petites structures qui seraient, de fait, considérées comme des réseaux sociaux, ne soient pas en mesure d'agir dans de tels délais par défaut de personnel disponible. Là encore, le pouvoir d'appréciation du juge sera certainement déterminant.

Articles 6 et 7 - Contrôle parlementaire et entrée en vigueur de la loi

Article 6 : Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport présentant les conséquences de l’utilisation des plateformes en ligne, de la surinformation et de l’exposition aux fausses informations sur la santé physique et mentale des jeunes, notamment des mineurs, ainsi que sur leurs capacités d’apprentissage.

Afin de pouvoir adapter la loi si elle ne se montrait pas suffisamment efficace, en cas de nouveaux usages ou d'identification de nouveaux risques, le Gouvernement doit remettre un rapport aux parlementaires pour leur permettre éventuellement de revoir leur copie.

Article 7 :
I. – La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret qui ne peut être postérieure de plus de trois mois à la date de réception par le Gouvernement de la réponse de la Commission européenne permettant de considérer le dispositif législatif lui ayant été notifié comme conforme au droit de l’Union européenne.

II. – Par dérogation au I :
1° [L'obligation de recueil de l'autorisation parentale pour les comptes déjà créés] entre en vigueur deux ans après la date d’entrée en vigueur mentionnée au I du présent article ;
2° [Les sanctions applicables aux réseaux sociaux entrent] en vigueur un an après la date d’entrée en vigueur mentionnée au I du présent article.

La France se veut pionnière dans ce domaine et n'est pas du tout sûre que cette loi, prise de son côté, puisse répondre aux exigences de l'Union Européenne. Ainsi, une réponse de la Commission tendant  à l'inconventionnalité de cette loi serait susceptible de la censurer, à l'instar de ce que peut faire le Conseil Constitutionnel.

Si la Commission européenne juge le texte conforme, il conviendra d'en déterminer ensuite les modalités d'application par un décret pris en Conseil d’État, après avis de la CNIL, ce qui peut prendre du temps. Par suite, les sanctions pourront entrer en vigueur un an plus tard et ce n'est que l'année suivante que les comptes des moins de 15 ans déjà créés devront alors avoir reçu l'aval de l'autorité parentale.

En conclusion

Lors des débats, le fait que les solutions techniques n'existent pas pour le moment a bien été soulevé, mais les parlementaires auraient malgré tout décidé de légiférer pour démontrer qu'ils ont conscience du problème et qu'ils agissent, quitte à arroser un violon. À moins que cela soit pour inciter l'Union Européenne à suivre la France sur ce chemin, en utilisant ce précédent comme démonstration.

Il y a fort à parier que, à moins que l'Europe tout entière n'adopte des dispositions du même acabit, le bras de fer ici engagé contre les multinationales possédant la plupart des réseaux sociaux se révèle être un pari perdant. Certaines plateformes préfèreront sans doute se retirer du pays (ou menacer de le faire) plutôt que d'ouvrir la voie à d'autres mesures analogues susceptibles d'être prises par chaque État individuellement, qui ne feraient que complexifier grandement leur administration, nécessiteraient du personnel supplémentaire, engendrerait des coûts et responsabilités juridiques étendus, etc. L'avenir le dira.

Les réseaux sociaux sont régulièrement la source de troubles, parfois très graves, chez les plus jeunes et souhaiter protéger ces derniers résulte indubitablement d'une bonne intention. Le faire en prenant des mesures qui, en l'état, apparaissent inapplicables, peut toutefois sembler étrange et difficilement compréhensible. L'obligation pesant sur les sites pornographiques de vérifier si leurs utilisateurs sont majeurs devrait connaître de nouveaux rebondissements très bientôt. Il conviendra de voir si une solution technique a finalement été retenue et si elle pourrait être applicable au cas d'espèce.

Retrouvez le texte de loi sur le site du Sénat

Vaark


  • Pas une mauvaise chose qu'ils pensent à une solution de ce type. Les réseau sociaux et les jeux vidéo sont pollués et une grand nettoyage doit être fait.

    Bien sur il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier, mais déjà retirer ce qui ne doit pas être là de base (les mineurs) pourrait résoudre une partie du problème.

    Quand je pense que dans certains pays les personnes se retrouvent devant les juges car ils se sont fait report par des rajeux dans un jeu ou du Swatting par des enfants de 12 ans qui parfois sont à la limite de finir en drame.

    Au bout d'un moment faut faire quelque chose!

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