Marteau Numerique

Le projet de loi d'orientation et de programmation de la Justice permet l'activation à distance de matériels connectés pour écouter et géolocaliser des suspects

Présenté par M. Dupont-Moretti, ministre de la Justice et Garde des sceaux, lors du conseil des ministres du 3 mai 2023, le projet de loi d'orientation et de programmation de la Justice 2023-2027 comporte un volet numérique important mais assez peu évoqué.

En ce qui nous concerne, les articles 12 et suivants du projet de loi prévoient d'autoriser "l'activation à distance d'un appareil électronique à l'insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel ". Jusqu'ici, l'article 230-34 du code de procédure pénale (CPP) autorise, sous conditions, l'introduction, dans les lieux privés ou sur les véhicules et matériels, d'un moyen technique permettant la localisation d'un individu. Il est donc question ici d'ajouter une nouvelle corde aux possibilités d'enquête en permettant directement d'activer les téléphones, tablettes et autres dispositifs, sans avoir besoin d'y introduire un mouchard matériel au préalable.

Comment est-ce que, en pratique, cela peut être mis en place ? C'est une question qui n'est pas évoquée. En l'état, l'article 230-32 du CPP prévoit que :

Il peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, si cette opération est exigée par les nécessités...

Comme nous vous l'indiquions dans l'article sur la régulation européenne des cryptomonnaies, le législateur s’embarrasse assez peu de considérations techniques. La loi décide quelque chose, charge à l'exécutif de se débrouiller pour la faire appliquer. Les dispositifs législatifs sur le numérique se multiplient comme jamais et les parlementaires semblent souvent trop peu s'intéresser à ces questions ou n'être que rarement entourés d'experts, quitte à parfois voter des lois techniquement inapplicables ou juridiquement contraires au droit supra-national. Sans doute les débats à l'Assemblée nous permettront-ils d'y voir un peu plus clair.

Autre mesure numérique d'importance, ces activations à distance et à l'insu devraient permettre "la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes, à titre privé ou confidentiel [...] ou de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé ". C'est l'article 18 du projet de loi qui prévoit cette possibilité pour, là encore, renforcer les dispositifs déjà en vigueur en ajoutant la possibilité d'activer, à distance, des appareils privés dans le cadre d'enquêtes, sans avoir besoin de s'introduire physiquement sur les lieux.

Il précise, en outre, que "L’activation à distance d’un appareil électronique mentionnée au présent article ne peut concerner les appareils électroniques utilisés par les personnes mentionnées à l'article 100-7" et ces personnes sont les députés, les sénateurs, les avocats et les magistrats. Protéger ces personnes particulières contre les immixtions dans leur correspondance privée répond à un vrai besoin pour protéger l'expression démocratique, le secret professionnel et le bon fonctionnement de la Justice, cela ne fait aucun doute. Il apparaît cependant intéressant de s'arrêter un moment sur le fait que les personnes chargées d'élaborer, voter et faire appliquer cette loi sont précisément celles pour qui elle ne pourra pas s'appliquer, ce qui pourrait être susceptible d'entamer la confiance des justiciables ordinaires sur le processus législatif de pareilles dispositions.

Toujours sur le numérique, ce projet de loi comporte également plusieurs mesures relatives aux personnes mises en garde à vue ou placées en détention, tel l'accès à des médecins et interprètes en visioconférence ou la généralisation de caméras embarquées pour les surveillants pénitentiaires.

Dans la soirée, le Gouvernement a décidé de rendre publiques les conclusions du Conseil d'État sur ce projet de loi, qu'il avait saisi pour avis en février dernier.

Sur les captations de son et d'images introduites par ce projet de loi, les juges du Palais Royal relèvent notamment que :

Le Conseil d’État constate que si la technique envisagée évite l’intrusion dans des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de captation, elle porte une atteinte importante au droit au respect de la vie privée des lors qu’elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers. Il admet, au vu des indications données par le Gouvernement, notamment dans l’étude d’impact, que le recours à cette technique est aujourd’hui une condition du maintien de l’efficacité des techniques spéciales d’enquête en présence de certaines formes, particulièrement redoutables, de criminalité et de délinquance en bande organisée. Il estime cependant nécessaire afin d’assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée, de renforcer les garanties prévues par le projet de loi.

Le Conseil propose ainsi de limiter davantage la durée de ces autorisations de mise sur écoute, ainsi que d'en interdire la pratique à l'égard des personnes qui exercent leur activité professionnelle dans un cabinet d'avocat, une entreprise de presse, un cabinet de médecin ou une juridiction. Le projet de loi se bornant à interdire la captation par activation à distance dans les locaux professionnels susmentionnés, le Conseil d’État estime que ce ne sont pas les lieux mais les personnels qu'il faut exclure du cadre de ces écoutes, afin de protéger utilement le secret professionnel, le secret des sources, le secret médical ou le secret du délibéré.

A défaut, la possibilité d’activer à distance les appareils connectés détenus par ces personnes, qui se trouvent habituellement dans des lieux où la mise en place de dispositifs techniques de captation est exclue, reviendrait à priver cette interdiction d’une grande partie de sa portée.

Pour l'heure, dans la version la plus récente de ce projet de loi, cet avis ne semble pas avoir été suivi. Il conviendra de regarder ce qu'il en est lorsqu'il sera déposé devant le Parlement et lors de son examen par les différentes commissions.

Ce projet de loi sera étudié "avant l'été" à l'Assemblée Nationale et au Sénat, ainsi que l'a confirmé Mme Borne, Première ministre, lors de sa présentation des "priorités du Gouvernement pour une France plus indépendante et plus juste", les fameux cent jours sur lesquels le Gouvernement table pour espérer sortir de la séquence des retraites.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de l'issue des débats qui porteront sur les questions numériques.

Vaark


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